Théorie
On a retrouvé la définition de la BD
par Jean-Jacques
 
Quand on parle de « bandes dessinées » au pluriel, on pense au contenu. Et, dans la famille « bandes dessinées », on va en trouver de toutes sortes et pour tous les goûts : fantastique, comique, étude de mœurs, aventure, etc
Au singulier, « la bande dessinée », c’est le contenant, en l’occurrence un moyen d’expression artistique.
Cette terminologie est à peu près bien comprise de tout le monde. Mais comprise ne veut pas dire définie clairement.

La constitution littérale du terme bande dessinée et les dictionnaires nous sont qu’un secours très relatif pour comprendre où se situe la vraie nature de la BD (voir article précédent).
Pour en savoir plus, il nous faut aller au devant d’éminents spécialistes qui ont approfondi la question.

Strip de Monsieur Crépin, une bande dessinée de Rodolphe Töpffer.
L’inventeur de la bande dessinée (le créateur du premier vrai petit album de BD) est Rodolphe Töpffer, un suisse. Il a décrit son travail dans les années 1830 en indiquant que c’était « un livre qui, parlant directement aux yeux, s’exprime par la représentation, non par le récit. » On peut penser que par « récit », il entendait texte (car les BD de Töpffer sont de nature narrative, donc avec un récit). Le génie de Töpffer est d’avoir privilégié l’image sur le texte dans sa narration et de le rappeler dans cette première définition de la bande dessinée.
Beaucoup plus tard, en 1972, Pierre Couperie s’est fendu d’une définition laborieuse qui illustre bien la difficulté de l’exercice.
« La bande dessinée serait un récit (mais elle n’est pas forcément un récit…) constitué par des images dues à la main d’un ou plusieurs artistes (il s’agit d’éliminer cinéma et roman-photo), images fixes (à la différence du dessin animé) et juxtaposées (à la différence de l’illustration et du roman en gravure…). »
Une telle définition permet de discriminer en partie de ce qui n’est pas de la BD mais n’écarte pas certaines oeuvres historiques comme les bas-reliefs de la colonne trajane et la tapisserie de Bayeux, que l’on hésite quant même à considérer comme des bandes dessinées, même si elles en présentent certaines caractéristiques.

Plus synthétique pour qualifier la bande dessinée, Will Eisner a recours en 1985 à l’expression « art séquentiel », c’est à dire, dans son esprit, des images qui s’enchaînent. Cela est peut-être un peu juste pour faire une définition mais c’est cependant une excellente base car parfaitement neutre sur le contenu de l’œuvre. Mais la musique est aussi un art séquentiel (sonore, cette fois-ci). Et parler d’art est peut-être un jugement de valeur. En effet, la BD, art ou artisanat ? Le débat ne sera jamais clos.
Will Eisner est cependant allé plus loin en indiquant que « l’Art séquentiel allie mots et images dans le but de raconter une histoire ou de dramatiser une idée. Il est à la fois un moyen d’expression créatif, une discipline distincte, un art et une forme littéraire. »

Cette notion de séquentialité, mise en avant par Will Eisner, est essentielle. Thierry Groensteen l’a précisé en 1999, en notant que l’unique principe fondateur de la bande dessinée est la mise en relation d’une pluralité d’images solidaires. La condition nécessaire, mais sûrement pas suffisante pour parler de bande dessinée, est donc d’avoir plusieurs images corrélées.

Chacun mettant son grain de sel dans ce débat de pinailleurs, les Coinceurs de bulles apportent leur contribution.
Pour nous, la NARRATION prévaut tout car, une BD c’est d’abord une histoire ou une idée à mettre en valeur. Cette narration, il faut la prendre au sens large de récit ou d’exposé. Avec l’écriture, on peut mettre une histoire en roman, un enseignement en manuel pédagogique ou un sentiment et une réaction esthétique en poésie.

En BD, il en est de même : on peut être factuel, pédagogue ou poète, au choix. Quoiqu’il en soit, la narration est la première constante, la seconde étant l’expression graphique FIGURATIVE, le dessin réaliste ou stylisé prévalant sur le texte et le graphisme abstrait dans l’expression. Avec NARRATION FIGURATIVE on associe donc la notion de but et la notion de moyen. En ajoutant l’excellent qualificatif de SEQUENTIEL pour préciser le moyen, on obtient une définition en trois mots: NARRATION FIGURATIVE SEQUENTIELLE.
Pour faire dans le plus accessible, on pourrait aussi écrire NARRATION EN IMAGES SE SUCCEDANT, mais cela fait moins professionnel.

Champion de géographie, par Gaëtan, jeune membre de l'atelier des Coinceurs de bulles.
Gaëtan fait de la narration figurative séquentielle sans le savoir,
comme Mr Jourdain faisait de la prose sans s'en rendre compte !

 

Finalement, la définition de la bande dessinée est bien difficile à arrêter, sans doute parce que c’est un des média qui associe simultanément le plus grand nombre de paramètres et de manière fort complexe, à savoir le texte (les bulles) et l’image (le dessin), le temps (l’ellipse entre deux cases) et l’espace (la gouttière entre deux cases), le linéaire (la bande) et le tabulaire (la planche).
De quoi alimenter encore quelques chroniques d’exégètes accros de BD…
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