L'ART D'Hugo PRATT
par Jean-François, Franck et Lila
Hugo Pratt fut un grand maître de la bande dessinée
européenne, faisant évoluer la BD du rang de publication
réservée aux enfants, à celui de 9ème
art, comparable à la littérature ou au cinéma.
Sa notoriété, établie sur un savoir-faire original,
éclata après 30 ans de carrière.
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Né
en Italie en 1927, Hugo Pratt mena un peu la même
vie que son héros majeur, Corto Maltèse,
déambulant d'un pays à l'autre. Après
avoir passé son enfance à Venise, son
adolescence en Ethiopie, Hogo Pratt revient en Italie
en 1943. En 1945, il commence sa carrière de
dessinateur de BD, puis s'installe en Argentine, où
il conçoit plusieurs séries. Revenu en
Europe en 1962, il signe La ballade de la mer salée,
première aventure de Corto Maltèse, en
1967. Hugo Pratt donne aussi naissance à Fort
Wheeling, aux Scorpions du désert... En 1975,
Pratt s'installe à Paris, puis en Suisse en 1984.
Hugo Pratt est d'abord un voyageur intérieur,
entouré chez lui de 30 000 livres. Mais c'est
aussi un éternel globe-trotter dont le but des
voyages est de redécouvrir les endroits qu'il
a déjà pénétré par
ses lectures et son imagination. Hugo Pratt évolua
dans son style graphique et sa maîtrise de la
narration toute sa carrière, acquiérant
la reconnaissance du public et de la critique au milieu
des années 1970. Hugo Pratt est mort à
Lausanne en 1995. |

Corto, c'est Hugo. Hugo, c'est Corto
Le personnage
de mythique de Corto Maltèse, esprit libre, curieux de tout,
aventurier romantique, est le double d'Hugo Pratt, artiste nomade
et latin, comme lui ouvert à toutes les cultures. "Nous avons en commun le goût de l'aventure
et certaines références culturelles", disait Pratt de son héros. Venise, l'Ethiopie,
le fascisme, la guerre, l'Argentine, le Brésil, le Kenya...
Tous les horizons et expériences de Corto Maltèse
sont nés de la biographie d'Hugo Pratt, avec ses incertitudes
entretenues et, de toute façon, loin de l'ordinaire.
Yeux verts, anneau à l'oreille, venu de nulle part et d'ailleurs,
assez distant et dandy pour séduire tous les publics, Corto
Maltèse est un peu un Hugo Pratt stylisé. Comme
Corto, Hugo circulait entre les lignes. De 1941 à 1945, il
fut successivement "le plus jeune
soldat de Mussolini", dans la police
coloniale combattant les Abyssins, prisonnier des alliés,
libéré, prisonnier des allemands, embrigadé
dans la police maritime allemande, déserteur puis engagé
dans l'armée britannique. Tout aussi complexe et ambigue,
Corto milite avec désenchantement, et parfois cynisme, d'abord
pour ses propres intérêts. Mais derrière ces
apparences pas toujours exemplaires, Hugo comme Corto dégagent
un humanisme non ostentatoire et une profonde compréhension
des hommes.
Canon de huit têtes et demi
pour Corto: c'est la représentation
du héros idéalisé jusqu'à l'exagération,
comme Superman ou l'Apollon grec (extrait de la charte graphique du projet de dessin animé).
Raspoutine est le pendant noir de
Corto, avec une vraie tête d'assassin et de conspirateur,
ce qu'il est d'ailleurs. Corto est peu moral et Raspoutine est amoral
et sans limites. Mais tout cela n'empêche pas une étrange
amitié liant les deux hommes.
Réalité ou fiction
L'univers de Corto Maltèse associe
réalité et fictions, acteurs imaginaires et historiques
qui se croisent et recroisent d'un bout à l'autre du monde.
Les récits reposent toujours sur un fond historique, comme
le siège de Port-Arthur en 1905, l'insurrection irlandaise...
Le monde des BD de Pratt parait irréel au premier abord,
mais la mise en scène de personnages célèbres,
le rapport rigoureux à l'histoire, l'importance des rapports
humains en fait aussi un univers familier et crédible.
"L'idée de base est souvent
un éclair, un flash. Par exemple, quelqu'un qui revient d'Afrique
me raconte quelque chose. Cela me donne une idée de départ
et me donne envie de creuser, d'approfondir. Généralement,
je pars tout de suite à la recherche d'une fin plausible
pour le scénario. A partir d'une belle fin, il est possible
ensuite de remonter vers le début de l'histoire", explique l'auteur.
Les yeux de Corto sont fascinants. Corto Maltèse traîne sa carcasse tout autour
du monde, au début du 20ème siècle. Bourlingueur,
observateur et acteur décalé des événements.
Pratt laisse fréquemment vivre
la narration et la psychologie des personnages par les seuls dessins.
Les silences sont ainsi courants, alors que les BD de l'époque
incluaient systématiquement texte et image à chaque
case. Une foule de soldats peuple les bandes dessinées
d'Hugo Pratt, ce qui n'est pas étranger à sa propre
vie. Pendant près de 20 ans, il porta lui même de nombreux
uniformes. Bien qu'éternel sceptique et critique à
l'égard de tous les impérialismes et nationalismes,
il gardera le plaisir de l'uniforme impeccable, de l'arme authentique,
qu'il dessine avec exactitude.
Un style graphique inimitable (quoi que...)

Vignette de Brise de mer (Les Scorpions
du désert)
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"Mon
style actuel est le résultat de toute une vie
de recherche, expliquait Pratt. J'ai travaillé
pendant 50 ans pour en arriver à dessiner comme
maintenant (...). Je voudrais arriver un jour à
tout faire comprendre avec une simple ligne". "Alors
que j'étais aux Beaux Arts, se souvenait Tardi,
un autre grand de la BD européenne, un de mes
professeurs nous donnait l'habitude de dessiner au trait
et, ensuite, de détacher au pinceau pour indiquer
les volumes. Or, à ce moment là, j'ai
eu l'occasion de lire un Sergent Kirk, dessiné
par Pratt. J'ai ainsi eu la confirmation que le dessin-croquis
pouvait s'appliquer à la bande dessinée".
Ce style particulier, construit de noirs et blancs francs,
ainsi que le parti-pris d'esthétisme de Pratt,
le distinguent du classicisme franco-belge. |

Pastiche de Corto Maltèse,
par Franck. Raspoutine et
Corto face à face.
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Au
début de sa carrière, Hugo Pratt fut très
influencé par Milton Caniff, le maître
du clair-obscur et de l'encrage au pinceau. Ce n'est
qu'à la fin des années 60, en allant vers
une forme de stylisation économe, qu'il évoluera
vers une écriture graphique très personnelle
et novatrice. Après les années 70,
Hugo Pratt versa dans une épuration graphique
qui, souhaitant se concentrer sur l'essentiel, perdit
parfois en expressivité. |
"Je crayonne très
peu. Je dessine quasi toujours directement et je procède
dessin par dessin, vignette par vignette. Pourquoi ? Tout simplement
pour m'éviter de revenir en arrière, sans quoi je
n'arrêterais pas d'ébaucher et d'esquisser des ébauches
d'ébauches qui me donneraient toujours un peu plus le sentiment
d'insatisfaction (...). Aller de l'avant, c'est ma manière
de travailler, ce n'est pas celle des autres dessinateurs de BD
(...). Par contre, si devant une case vierge, j'ai envie de verser
dans l'expressionnisme, je me laisse aller parce que je me suis
toujours servi de l'encre noire comme s'il s'agissait d'une couleur."
On apprend ainsi qu'Hugo Pratt ne préparait
pas à l'avance la structure de sa planche. La mise en page
est très classique, à quatre bandes, et le gaufrier
est son repère presque immuable. Et pourtant certaines de
ses planches sont superbes. Question de métier ! Les
cadrages sont essentiellement des plans moyens. Toujours simple,
mais efficace. Hugo Pratt met en scène beaucoup de face
à face entre personnages, sous le signe de la confrontation,
l'opposition ou l'affrontement, et champs et contre-champs se succèdent.
Pour poursuivent l'exploration de
l'univers Pratt, cliquez sur les liens suivants:
--> Suite
: Hugo Pratt: Les COINCEURS DE BULLES EN CAUSENT
--> Suite
: Pastiche de Pratt: La DEDICACE de CORTO MALTESE
Sources
et copyrights: Les Scorpions du désert, Brise de mer, Hugo
Pratt, Casterman (1994); Maîtres de la bande dessinée
européenne, BNF/Seuil (2000); GEO hors série, novembre
2001, Les cahiers de la BD, n° 89, juin 1990; http://perso.club-internet.fr/batmouse/accueil.htm; http://www.ecritetdessine.org/affiche.php?nom=pratt; http://www.bdparadisio.com/scripts/detail.cfm?Id=357
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