L'art de F'MURR
F'Murr a particulièrement marqué les années
1970-80, dans Pilote, son graphisme original et son humour tout
personnel s'y imposant rapidement. Ainsi, le Génie des Alpages
a complètement renouvelé la BD animalière tandis
que Jehanne d'Arc revisitait le genre historique. Cet auteur attachant
et de caractère creuse son sillon à l'écart
des modes.

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Né
à paris en 1946, F'Murr, de son vrai nom Richard
Peyzaret, fréquenta l'école des Arts appliquées
et pratiqua un temps le dessin humoristique avant de
s'orienter vers la bande dessinée et de publier
ses premières planches dans Pilote en 1971. Après
les Contes à rebours, il y crée Le Génie
des alpages puis Naphtalène. Parallèlement,
il publia d'autres séries dans Circus et A Suivre
(avec Jehanne d'Arc), Fluide Glacial et Le Trombonne
illustré.
Créateur rigoureux et exigeant,
F'Murr est un maître de l'humour non-sens à
la française. Bien qu'il soit un auteur
important de sa génération, il reste à
ce jour modestement reconnu. |
L'inspiration déroutante Les petits mondes créés par F'Murr tiennent
leur saveur d'une méthode toute personnelle de travail, mais
il n'est pas facile d'y rentrer. La plupart des gags de F'Murr font
appel à l'absurde, au non-sens, et certains résistent
à toute explication logique, ce qui ne manque pas d'irriter
ou de lasser le lecteur peu habitué à ne pas comprendre.
Pourtant, c'est de ces déraillements que naît le rire.
Les récits sont empreints de la fantaisie la plus débridée.
Dans Jehanne d'Arc, l'héroïne alcoolique flanquée
d'un amant extra-terrestre s'en va soutenir Attila dans son siège
de Paris. Invraisemblances et anachronismes se conjuguent pour remettre
en cause la logique du réel. Le non-sens réside
dans l'absence de rapport entre deux parties causales. L'esprit s'amuse du vertige
provoqué par l'absurdité de la réponse, d'autant
plus que la question appelait une réponse rationnelle.

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F'Murr a une prédilection
pour les gags visuels, souvent mécaniques et
répétitifs. |
La même dimension absurde
se manifeste dans le dessin: l'image est sans cesse traversée
par des objets volants incongrus, les montagnes recèlent
des ouvertures d'où sortent des coucous d'horloge, les vilons
sont gonflables, etc. L'inversion des valeurs participe d'une
entreprise de déstabilisation globale de nos schémas
intellectuels, le monde à l'envers devenant un monde merveilleux.

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Gonflé
le violon, n'est-ce pas ?
Mais où donc F'Murr va-t-il chercher des idées
pareilles ? |
Les
madames de F'Murr sont uniques et presque banales. Ni ménagères tranquilles, ni
féministes enragées, Naphtalène
ou Jehanne sont des marginales excentriques et effrontées
qui tentent de vivre leur vie comme elles l'entendent,
les pieds dans la gadoue et la tête dans les étoiles. |
F'Murr au boulot
(extraits d'interviews) Comment construisez vous un épisode
des Alpages ? Je peux commencer
par le début ou la fin, partir d'un dessin ou d'une idée
de dialogue... Quand j'attaque mes deux planches, je ne sais jamais
exactement ce qui va s'y passer. Parfois, le gag nait de la volonté
d'introduire un nouvel élément dans cet univers déjà
constitué. Votre
technique narrative s'apparente donc à du collage ? Oui, mais dans la bande dessinée, c'est toujours
du collage ! On met des images les unes derrière les autres,
et même si elles n'avaient aucun rapport entre elles, elles
finiraient nécessairement par produire un discours cohérent.
Ce discours serait plus difficile à appréhender qu'un
discours linéaire, mais il serait aussi plus intéressant.
J'ajoute que je préfère les gags issus du dessin.
Quand je pars d'un dialogue, je m'ennuie horriblement à devoir
ensuite l'illustrer. Comment
caractériseriez-vous votre humour ?
Dans l'humour, je déteste la dérision. Lorsque le
dessine les Alpages, je le fais sérieusement. Il n'est pas
question que j'aille me moquer de quoi que ce soit. On peut être
désinvolte, jamais dérisoire. Votre style de dessin est tout sauf académique. C'est vrai que je suis
avant tout un autodidacte. J'ai bien sûr subit des influences.
Lorsque j'ai commencé à dessiner, je m'intéressait
surtout à Chaval. Je trouve également le travail de
Hergé extrêmement enrichissant, car il utilise un dessin
très clair, qui va à l'essentiel. La personnalité
s'exprime avant tout dans la possibilité qu'on a de s'adapter
à son propre univers. La principale difficulté du
débutant réside dans les surcharges. Il en fera toujours
trop. Lorsqu'on commence, on a l'impression que l'on ne sera jamais
pris au sérieux si l'on ne donne pas toujours plus que le
nécessaire. Quelles
sont les bandes dessinées qui vous ont marqué ? Quand j'ai commencé à dessiner, je
regardais beaucoup Franquin. J'aurais voulu dessiner comme lui,
ce qui était complètement utopique. Plus tard, à
force de voir dessiner Tardi, que j'admire beaucoup, je suis revenu
à Hergé. Je me suis rendu compte que je devais viser
de ce côté là et pas du côté de
Franquin. Le trait rondouillard de Pim Pam Poum (où les animaux
ont toujours l'air de baudruches) m'a certainement influencé
aussi. Vous vous dites
influencé par de nombreux dessinateurs alors que votre trait
est tout, sauf classique. Le dessin est une écriture. Chacun la sienne. Certaines
écritures se ressemblent, mais après il y a la façon
dont on l'exploite. Chacun se construit son style. Pour ma part,
je n'ai jamais véritablement réfléchi à
la façon de le faire (...). Mon graphisme continue d'évoluer.
Il y a eu une époque ou je fignolais trop mes dessins parce
que je voulais obtenir un dessin propre "à la belge".
J'ai renoncé à tout cela, et c'est heureux car je
n'y serais jamais arrivé. Est-ce
par boutade que vous avez dit un jour que votre graphisme déroulait
de votre myopie ? Non, pas du
tout. Je suis myope et je me suis refusé à porter
des lunettes pendant très longtemps. Je percevais des masses
assez floues plutôt que des formes précises. Est-ce que vous achevez les deux planches
au crayon avant de commencer l'encrage ?
Non, je travaille par strip et j'encre au fur et à mesure.
Mais je reviens fréquemment en arrière pour rajouter
des détails. En fait, je me passerais volontiers du crayonné.
Le dessin au crayon me gêne, il brouille ma perception. Quand
je gomme une planche, j'ai toujours de mauvaises surprises et je
suis tenté de tout refaire.
 L'invention de la BD, d'après F'Murr.
Sources:
Les Cahiers de la bande dessinée n° 60; Patrick Gaumer,
Les années Pilote, Dargaud (1996); Jean-Pierre Mercier, Une
géniale douzaine, Neuvième Art n°4 (1999)
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